Une étude menée en février 2024 par l’Ifop montre que les
Français font de moins en moins l’amour. En effet, en 2006,
87% des Français déclaraient avoir eu au moins un rapport
sexuel ces 12 derniers mois, contre 76% de nos jours. En Corse,
on ne dénombre que deux sexologues, un pour chaque département.

Laurélène Cavallini-Negrel exerce en Corse-du-Sud
et est spécialisée en sexothérapie. Entre sensibilisation et
accompagnement psychologique, elle nous parle de son métier
encore trop méconnu et parfois objet de nombreux préjugés.

Quelle est la diff érence entre un sexologue et un sexothérapeute ?

Il n’y a légalement pas de différence. Les professionnels diront qu’un sexologue c’est obligatoirement un médecin et un sexothérapeute pas forcément. Si on part de ce postulat, je suis sexothérapeute. Mais l’appellation de sexologue parle beaucoup plus aux gens, c’est pour ça que l’on s’appelle ainsi, que l’on soit médecin ou psychologue. Je suis sexologue et thérapeute de couple. J’ai été diplômée en psychologie et en sexothérapie analytique. Je continue, en parallèle, à me former pour devenir psychanalyste et ainsi avoir une double casquette. J’exerce en libéral ainsi qu’au centre de planification et d’éducation sexuelle, sur Porto-Vecchio et Sartène.

Quels sont les préjugés auxquels vous faites face concernant votre métier ?


Il y a beaucoup de préjugés. On pense par exemple qu’en tant que sexologue, on est capable de mieux gérer sa vie et ses histoires sentimentales et qu’on n’a aucune préoccupation de ce côté-là. C’est complètement faux. J’ai cependant des clés, que je partage avec les gens, mais ce n’est pas forcément évident de se les appliquer à soi-même. Certaines personnes, aussi, pensent que mon métier a un quelconque rapport avec la prostitution ou l’industrie du X ; il arrive même qu’on me demande ce qu’en pensent mes parents ! On pense facilement qu’un sexologue analyse tout et tout le temps, ou que je ne pense qu’au sexe… Je n’analyse pas tout, j’ai une vie qui fait que je ne cherche pas à interpréter ce que chacun peut me dire ou me confi er quand ce n’est pas dans le cadre de mon travail.

De nos jours, pourquoi on consulte un sexologue ?


Globalement, pour tout ce qui va être difficultés et dysfonctionnement d’ordre sexuel mais aussi tout ce qui touche aux relations humaines. Par exemple, quelqu’un qui aurait du mal à surmonter une rupture peut se tourner vers un sexologue parce qu’on est formés à la thérapie de couple. Les couples en période de périnatalité peuvent également consulter un sexologue pour savoir comment gérer sa sexualité durant une grossesse. Il y a également l’accompagnement sexo-psychologique avec, par exemple, les questionnements que pourraient avoir un couple gay qui se lance et ne sait pas encore quelles pratiques adopter. Puis, les dysfonctionnements sexuels tels que les troubles de l’érection et le vaginisme. On a également une patientèle qui a vécu des traumatisme sexuels, soit des attouchements ou des viols, des gens qui ont une hypersexualité et en souffrent, soit des patients qui ont un problème avec leur corps et veulent se reconstruire et renouer.

De quel ordre est la répartition hommes-femmes dans votre patientèle ?

Je dirais qu’en libéral, c’est 80% de femmes et 20% d’hommes. Les hommes ont plus de mal à contacter un sexologue, c’est encore considéré comme honteux pour eux. À l’inverse, au centre, je n’ai eu que des patients hommes.

Que pensez-vous de la série Netflix Sex Education et de son impact, notamment chez les jeunes ?


Je trouve que c’est une excellente série pour les jeunes car elle aborde la sexualité et la puberté avec une touche d’humour, ce qui permet d’écarter les tabous et de montrer que, finalement, la sexualité est un sujet accessible. Il n’y a pas d’âge, pas de pratiques obligatoires. Cela a permis de beaucoup ouvrir le dialogue avec les jeunes qui, de mon point de vue, ont très bien reçu cette série. Certains jeunes, sans avoir assez d’informations et de réponses à leurs questions, pensent avoir un problème ; et en cherchant sur Internet, souvent, cela aggrave le «diagnostic». Alors je trouve que Sex Education, même si sur certains point, elle reste assez décalée, permet d’aborder les choses et de montrer que c’est normal.

Au niveau des adolescents, pensez-vous que l’éducation sexuelle soit bien menée ?


Avec le centre, nous faisons beaucoup d’interventions dans les collèges et les lycées ; mais pour autant, je
trouve que ce n’est pas du tout suffisant. On va se déplacer une à deux fois dans l’année, avec des thèmes bien précis comme la puberté, les règles… Mais dans leurs cours de SVT, ce n’est pas suffisamment abordé; le clitoris, par exemple, n’est jamais représenté, on n’explique pas aux adolescent ce qu’il est ni sa fonction. C’est le cas le plus parlant, même si de nombreuses féministes se sont battues pour l’intégrer aux manuels scolaires récemment.
On leur explique ensuite vite fait comment mettre un préservatif et à quoi ça sert, tout comme la contraception, on évoque les règles et puis c’est tout, débrouillez-vous. Faire avec ça à 13 ou 14 ans, ce n’est pas non plus l’idéal. Je comprends également la position des professeurs d’S.V.T qui ne sont pas formés pour parler de sexualité avec les jeunes, mais cela demeure un gros manque. Avec notre centre, on pense mettre en place des permanences pour que les jeunes des collèges et lycées puissent venir poser leurs questions.

Comment est-ce perçu par les établissements scolaires ?


Il y a un établissement qui a refusé catégoriquement en se cachant derrière des problèmes de logistiques
et de temps… Pourtant, la direction nous a clairement dit que ce n’était pas nécessaire pour les élèves,
parce qu’au collège on ne se posait pas ce « genre de questions ». Alors que oui, au collège, on se pose
clairement ce genre de questions. Même avant 13 ans, l’époque voulant ça, on se pose des questions et au lycée on a même souvent presque fini de se les poser.

Ce manque de parole et de sensibilisation, pensez-vous que cela contraint les jeunes à s’éduquer eux-mêmes ?


Je pense que oui et pas forcement avec les ressources adéquates. Ils vont avoir le réflexe de chercher sur Internet… qui va leur sortir des milliers de pages avec tout et n’importe quoi. Il vont aller regarder du porno, qui est très biaisé et qui montre une sexualité qui n’est pas réaliste mais jouée par des acteurs et des actrices…

Selon vous, la sexualité et l’amour sont deux notions forcement liées ?


Pour moi, non. À mes yeux, il y a d’un côté faire l’amour, et de l’autre avoir un rapport sexuel. Avoir un rapport sexuel n’implique aucun sentiment, cela peut-être une aventure sans lendemain liée au désir physique. Faire l’amour implique une réelle intimité, une alchimie, quelque chose se passe entre les deux partenaires. Aucun n’est à placer au dessus de l’autre, mais il est vrai qu’aux yeux de la société, et surtout concernant les femmes, on cherche à nous faire croire que c’est moins respectable d’avoir un coup d’un soir plutôt que de faire l’amour avec un fiancé de longue date. Mais au final, la sexualité est un besoin de base de l’humain, l’essence de la vie et on nait tous de la sexualité.

Quels sont, selon vous, les grands tabous de la sexualité qu’il serait bon de briser ?

Mon avis personnel est qu’il y a une grande pression au sujet de la jouissance à notre époque : il faut absolument que l’homme ait des rapport sexuels, qu’il fasse jouir ses partenaires, sinon c’est sa virilité qui est atteinte et il perd son statut d’homme. A contrario, on observe que ce qui, il y a quelques années, était honteux pour les femmes, c’était justement d’avoir une sexualité et une vie sexuelle bien remplie. Le vent tourne petit à petit pour se calquer sur les hommes, c’est-à-dire que les femmes qui n’ont pas d’orgasmes, les femmes qui ne jouissent pas, c’est honteux. La femme «frigide» est un grand drame, on a toujours essayé de la soigner, de la traiter. Donc, oui, il y a cette forte injonction à jouir et pour la femme, c’est assez ambivalent car d’un coté on la presse à jouir mais de l’autre, on ne veut pas qu’elle ait une sexualité ultra épanouie, ce qui est dommage.

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